… de bonne heure

L’actualité est aussi riche – aussi pauvre, en fait – de n’importe quoi. Inutile de se cramponner à la zappette de sa télé, à la cliquette gauche de son mulot : rien de neuf, ou le neuf a le goût du vieux…

Ah si : cette brève du Figarôt nous apprend qu’on a arrêté en Arabie-ça-vous-le-dites 67 « travestis » Philippins, déguisés en femmes au cours d’une soirée privée. Sachant que la tenue réglementaire des femmes là-bas, c’est le niquab (orthographe de mon cru), c’est à dire la bâche noire intégrale à l’exception des yeux, comment la police a-t-elle pu identifier des hommes derrière les bâches ? hein ? les cils passés au mascara ? les yeux faits ? ou le mât sous la tente ?

Bref, l’actualité ronronne, passons à autre chose ; on sait, chacun sait, que la première phrase de la première page du premier tome de A la Recherche du temps perdu, de Marcel Proust, c’est « Longtemps je me suis couché de bonne heure. » Oui, ça, on sait, on l’a lu, nous aussi, et puis 43 pages plus tard, lassé de reprendre en boucle, afin d’y comprendre quelque chose, la lecture de la troisième subordonnée relative imbriquée dans le deuxième conditionnel, on a jeté le bouquin aux orties, et tant pis pour le côté de Guermantes.

Ce qui pose plein de questions, tout de même. C’est peut-être, c’est probablement la phrase la plus célèbre de toute la littérature française, cette phrase. Comme je descendais les fleuves impassibles, mmmouais, pas mal, mais non, « Longtemps je… » c’est quand même autre chose.

C’est cependant une phrase problématique. Mon regretté confrère Georges Perec en donnait une lecture assez différente de celle qui prévaut généralement : sous la plume d’un boxeur professionnel qui pratique les combats truqués, « Longtemps, je me suis couché de bonne heure« , ça sonne autrement !

Au reste, que signifie « de bonne heure » ? si les provinciaux entendent par là autour de 21 h, un Parisien vous traduira ça par 22 h 30- 23 h, voire plus ; pour un teufeur, « de bonne heure« , c’est autour de 3h du mat’. Et puis, Marcel nous livre ici, sans l’écrire, une autre information : il a fini par se coucher tard ! eh oui, « longtemps, je… », mais ensuite ? ben, comme tout le monde, il a fini par se coucher tard, minuit et plus : la télé du voisin qui hurle, le clebs qui aboie aux alentours de 23h30, la vieille du dessus qui tire la chasse d’eau… à quoi bon se coucher de bonne heure, hein ? autant faire comme tout le monde…

Mais – et c’est là ma thèse – si la première phrase de la première page de… etc était entachée d’une coquille ? non pas la coquille du boxeur qui se couche dès le deuxième round, bien utile, celle-là, en cas de coup bas, mais une coquille littéraire ? qui aurait échappé à la relecture, ou – horresco referens – aurait été introduite à dessein et à la relecture ? tenez, par exemple :

« Longtemps, je me suis bouché le bonheur« . Un peu trop métaphysique, non ? ce ne serait pas plutôt « Longtemps, je me suis mouché de bonheur » ? Très fleur bleue, midinette, Marcel ; ce serait bien son genre…

« Longtemps, je me suis douché de bonne humeur« . Marcel chantant sous la douche, oui, c’est très possible.

mais cette coquille, c’était peut-être aux fins de censurer un texte indécent ? « Longtemps, je me suis touché, deux bonnes heures« . Sacré Marcel ! m’étonne pas qu’il ait l’air fatigué sur la photo, des cernes aux yeux ; à sa place, j’irais me coucher de bonne heure.

Pcc : Tibert

One thought on “… de bonne heure”

  1. Et au fait, savez-vous quelle est la première phrase du « Voyage » ? ? du voyage ? lequel ? ben, le Voyage… au bout de la nuit, quoi, LE voyage… Bardamu… Louis-Ferdinand… Céline… savez pas ?

    – ça a débuté comme ça.
    – Comment ça, ça a débuté comme ça ?
    – Ben oui, ça a débuté comme ça !
    – mais je vous le demande, enfin quoi, comment ça a débuté…
    – ça a débuté comme ça.

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