C’est la nuit qu’on nuit

Le Parigot relaie enfin avec quelque constance l’exacerbation des habitants de Paname à propos de la saleté ambiante, et notamment des tags. On sait l’ampleur qu’a atteinte cette sale mode sur les murs de nos villes, à Paris entre autres : à croire que les bombes de barbouille sont gratuites, distribuées à la sortie des collèges. Bref, des tas de citoyens se sont mobilisés pour rouspéter, exiger des actions : il y en a même qui ont piraté le site internet de la Ville, V majuscule, pour protester contre ce fléau.

Et voilà-t-il pas que la Ville entend, s’émeut : quoi ? des tags ? serait-ce possible ? ciel ! morbleu, il faut urgemment y remédier ! Donc ça se bouge, ça va se bouger, et l’on va les traiter, ces tags, grâce au travail assidu des très-très nombreux fonctionnaires municipaux, des sous-traitants aussi, peut-être : gratter, nettoyer, kärcheriser, repeindre par dessus, etc – sauf les Banksy et les trompe-l’oeil, évidemment. Enfin l’on s’avise à l’Hôtel de Ville que c’est sale, hideux, inquiétant, menaçant, ces peinturlures sauvages.

« Nettoyer c’est bien, ne pas salir c’est mieux » : vous connaissez l’adage, et c’est bien vrai, ça ! Tenez, à Singapour et Osaka c’est propre ; à Singapour on salit très peu (*), et puis on nettoie ; à Osaka on ne salit pas, il n’y a pas de poubelles de rue… les gens  jettent leurs déchets à la maison. Mais bon… on est en France, on est des Latins, voire plus. Il serait ainsi plus judicieux, pensent les esprits logiques, d’empêcher l’apparition des tags plutôt que de les traiter ensuite. Par exemple, mettre en oeuvre les deux volets d’une politique fort simple : a) On pourchasse et appréhende, de nuit, les tagueurs –  ils agissent quasiment toujours la nuit ; b) On confisque les bombes de peinture ; on ne défère pas les fautifs au tribunal, au juge des enfants, au substitut du Procureur ou similaire, pour un dossier pénal, un TIG bidon (**), un édifiant Rappel à la Loi ou équivalent : contravention ! 135 euros (+ 135 pour non-respect du couvre-feu, tant que ce sera en vigueur) ; récidive ? une grosse somme. Ce serait peut-être efficace, ça… on n’engorgerait pas les tribunaux pour des queues de cerises, et rapidement les tagueurs se calmeraient. Cerise sur le quatre-quarts, on économiserait de la barbouille.

Ah oui mais non, il faudrait patrouiller de nuit. Heures supp’, roulement des effectifs (insuffisants, les effectifs, faut-il le préciser ?), complexité des rotations, primes de risques… non, on pourra pas le faire, ça… bah tant pis, on repeindra.

Tibert

(*) Les gommes à mâcher, notamment, y sont proscrites ; omniprésentes sur nos trottoirs, super dures à enlever.

(**) Quoique… un TIG à effacer des tags, ça aurait de la gueule.

Moi, mon adrénaline et ma liberté

Le Figaro nous surprend le matin au saut du plumard. Non qu’une journaleuse chroniqueuse de fashion ou de make-up ou de dress-code en fasse des tonnes dans le Rosbif aujourd’hui ; non, il s’agit de graf, de graffiti, de grapheurs, d’une plongée dans les motivations, les délices, les jouissances du graf. Le Figaro donne la parole à des grapheurs célèbres…
Vous descendez de chez vous et pour la quatorzième fois vous constatez que le portail de votre immeuble a morflé une coulée de bombe à peinture en forme de zébra cabalistique ? c’est qu’un salopard s’est encore soulagé sur cette porte, pensez-vous, et de maudire le laxisme de nos gouvernants qui permet que les villes, nos villes, soient devenues hideuses en plus d’être sales. Vous avez tout faux : ce graffito , cette chiure sur la porte, a permis à un artiste nocturne et furtif de jouir, et c’est l’essentiel – pour lui. Vous, il s’en fout. Ecoutez : «Quand je descends dans la rue pour taguer, ce que je veux ressentir d’abord, c’est la pulsion de liberté. Le reste est secondaire.»
Secondaire, votre liberté à vous et le respect de votre environnement. Secondaires, les frais de remise en état de la porte. Secondaire, la laideur. Je veux jouir, disent les grapheurs. Moi. Ma sensation de liberté, ma montée d’adrénaline. Moi.

Griotte sur le gâteau de l’article figaresque : un grapheur illustre se retrouve « chez Trintignant » (l’acteur, pas le coureur automobile), place des Vosges à Paris… et son fils de lui dire, genre « viens chez moi, j’habite chez une copine » : « ah c’est toi Machin ? tu peux rester ici aussi longtemps que tu veux« . L’article ne précise pas, mais on l’imagine bien, c’est une belle histoire, que Machin a pu, en retour, enjoliver de son illustre barbouille en boîte la porte cochère de l’immeuble en question. Les tags sur les portes cochères de la Place des Vosges, outre l’exquise montée d’adrénaline, ça fait jouli ; d’aucuns en sont notoirement amateurs, d’ailleurs.

Tibert