Histoire de petits cailloux

La tragique bousculade qui a fait plus de 700 morts à Mina, en Arabie Saoudite, lors d’une étape du grand pèlerinage musulman – séance de lapidation des stèles censées figurer Satan, le diable et son train – m’a incité tout d’abord à creuser un peu le sujet. Je me suis demandé combien il fallait compter de tonnes de pierres , à raison de 28 pierres par personne, pour un poids unitaire moyen de 25 grammes, et pour 2 millions de pèlerins… ça donnait 1.400 tonnes de cailloux, une paille !

J’ai imaginé des solutions, le recyclage des cailloux façon salles de bowling, ou des cailloux munis d’élastiques comme des balles de jokari… il est facile ici d’ironiser, de lancer des vannes sur cette tradition de lapidation en masse. Et puis l’évidence m’est venue : c’est tout sauf drôle, et le rire ici est obscène. Plus de sept-cents morts, des gens qui avaient fait l’effort de venir jusque là, expédition coûteuse,  éprouvante…

Tenez, un épisode de mon enfance : nous étions en famille à Lourdes, expédition similaire à Mina mais pour un autre Dieu (il y en a des tas, et pour tous les goûts). Un monde fou devant la grotte de Soubirous, des gens pressés, empressés, compressés, des groupes compacts de pèlerins… moi, gamin près de ma soeur aînée, tout petit au milieu de ces adultes, je me suis mis à manquer d’air… commencé à tourner de l’oeil. Ce que constatant, ma soeur a tenté de me faire de la place, d’écarter la foule compacte autour de moi… pour que je puisse respirer… et ça rouspétait, et ça ne voulait pas bouger : « mais vous n’êtes pas de Dijon ! vous n’êtes pas de Dijon ! ». Eh non je n’étais pas de Dijon, et je pouvais crever. J’ai donc tourné de l’oeil, et du coup on m’a fait de la place.

Il est effarant que Homo Sapiens Sapiens en soit encore à nos époques à acheter des bouteilles d’eau du Gave en forme de madonne, à balancer quatre fois sept cailloux sur des monuments, à faire trois fois le tour de la Tour en psalmodiant des nigleries. Effarant et triste. Faut-il que la peur de mourir sans suite, sans droit à une rallonge, soit puissante, jusqu’à aveugler toute jugeote. Mais le pain et les roses, les jeunes vierges toujours fraîches, le lait et le miel, la béatitude ad vitam aeternam contre un lancer de cailloux à Mina ou de pétales de roses à la Fête-Dieu : avouez que, si c’était vrai, ça vaudrait le coup.

Tibert