Bien lassée de sa gap year…

Le Figues-à-rôts est une mitrailleuse à anglicismes inutiles – enfin, inutiles… utiles à saboter notre langue, et à introduire massivement des expressions états-uniennes. Remarquez, ce ne sont pas les seuls, les diverses « avant-gardes » sociétales ou réputées telles nous arrosent d’anglicismes sournois ou provocateurs à jet continu, je vous cite juste la Gay Pride (la-les fierté(s) homo(s)), les Femen dépoitraillées aux slogans exclusivement en anglais sur leurs pâles nichons, « Act Up« , parce que Down ça ne le fait pas, etc.

Dimanche j’ai voulu acheter un polar d’occase dans un vide-grenier de rue… de la collection « Berges obscures », je crois. Et le vendeur de commenter : « ouais, c’est excellent, mais attention, c’est un peu dark« . Dark ? vous voulez dire « noir » ? « sombre » ? « glauque » ? lui répartis-je, pourquoi dark ? bref on n’a pas conclu l’affaire.

Après la street-food ( la bouffe de rue) et la fashion week (la semaine de la mode) voici le temps de la gap year. La semaine dernière nous eûmes droit à une grande tartine figaresque sur les bienfaits de la gap year. La gap year, très chêêre, qu’est-ce ?

C »était encore récemment une année sabbatique, mais on a changé tout ça. On a une gap year… « gap » c’est le trou, l’intervalle, c’est donc, n’est-ce-pas, une année-trou. Un trou, on peut y mettre ce qu’on veut, mais avant qu’on y ait mis quoi que ce soit, c’est creux, ça bée, un trou. Béée, béée, fait le trou. L’année sabbatique – et a priori bien sympathique – était, elle, la promesse de voyages au long cours, de réalisation d’un projet cher à tous points de vue, de buller longuement, assidûment, en regardant passer les nuages, de se mettre à la sculpture sur bois, au mandarin, au Mandarin-citron…

La gap year c’est l’année béante, et en anglais, en plus. Je vous demande, la gueule que ça peut avoir… le seul avantage, certes, oui, concédons-le, c’est que ça fait, blanc compris, 8 caractères, tandis que « année sabbatique », alors là… interminable ! 16 caractères, le double. Et quand on est journaliste et qu’on a horreur des mots, de la parole, de la langue, économiser 8 caractères, ça justifie toutes les trahisons.

Année sabbatique : le sabbat, la mise en retrait, la parenthèse, et surtout pas un trou. Mais, je sais, certes, en 16 caractères interminables : on n’en voit pas le bout. Vous vous rendez compte ? c’est ça qui serait chouette, l’année sabbatique dont on ne verrait pas le bout.

Tibert