Un Monde de beau linge

Quand par malchance on n’a pas accès au Houèbe, on achète le journal en papier, pour ne pas louper, par exemple, les palpitants épisodes de la juste lutte des taxis parisiens contre l’intérêt général des Parisiens, qui semble archi-secondaire. Mais passons. Donc, le journal… le journal du vendredi soir, le Moonde (daté du samedi), c’est vendu  avec supplément obligatoire, un magnifique magazine papier glacé, joulies photos et articles soignés. Le Moonde du vendredi soir coûte 3,50 euros avec tous ses suppléments, le magazine et divers feuillets ; soit 1,70 euro de plus que d’hab’. Pour ce prix on a droit à du rédactionnel, et du solide, non ?

Rédactionnel solide… il y en a, c’est vrai, sur la jeunesse de Téhéran, sur la parano des Parisiens qui bossent à St-Denis (93). Et deux-trois portraits estimables sur des gens intéressants. Voilààh… et puis, et puis, un article de 4 pages, très élogieux, sur la maison Arnys à Paris dans les quartiers huppés, qui habille un tas d’hommes célèbres ou riches, ou les deux. Et, le croirez-vous, on nous apprend que Normal-Moi en personne y est venu voir, mais a renoncé à s’y faire confectionner ses costards, c’est trop cher pour lui ! à partir de 6.000 euros la bête, on le comprend, ça fait cher le bout de tissu. Mais show-bizz, politiciens, écrivains, hommes d’affaires… ils sont légion à se presser chez Arnys, que du beau linge parisien – les socialistes sociaux et les UMP libéraux s’y cotoient avec civilité. Bref : Arnys, si vous êtes pété de thunes et affectionnez de vous vêtir bien bourge, bonne adresse. Moi j’appelle ça du « publi-reportage », mais j’ai mauvais esprit.

Et puis, feuilletant le magazine, j’ai été frappé par le nombre de pleines pages de pub’ pour les fringues et chaussures masculines, et pas du Tatu ni du Kiabu, non : que de la belle griffe, vous pensez bien. J’ai donc consciencieusement établi la liste exhaustive de ces pubs grand format trouvées au fil des pages, outre la maison Arnys et deux quasi « publi-reportages » sous couvert de belles photos («  Henri-Charles Dugenou porte ici une cravate Cecicela de chez Schmoldu, une veste cachemire-soie griffée MonLapin, chaussures Crokno de chez HypeShoe« , vous voyez le genre) : j’ai dénombré 27 marques qui souhaitent vous fourguer, via le magazine du Moonde, des vêtements ou des chaussures.

Ralph Lauren – Saint Laurent – Giorgio Armani – Gucci – Ermenegildo Zegna – Bottega Veneta (ah là c’est une femme !) – Canali – Brioni – Kenzo – Carven – Lanvin – Hugo Boss – Paul Smith – US.Polo Assn – Strellson – Cerutti – Peuterey – Marc O’Polo – Tommy Hilfiger – Woolrich – De Fursac – IKKS – Levi’s – Aigle – Geox – American Vintage – Dior.

Voilà. Notez, ce n’est pas tout, on a aussi Rolex, Bell & Ross, VW, Nespresso, Hyundai, Samsung, Toshiba, Renault, Novotel, Lindt, Rivages du Monde, qui, eux, ne vendent pas de fringues. Et, ah oui j’oubliais : Sotheby’s. C’est pour vendre une gentille gentilhommière à Menton (06), mise à prix 22 millions. Sur le papier ça a l’air pas mal.

Mais quelle est donc la cible du Moonde-magazine du vendredi soir ? c’est Vogue-hommes, ma parole ; le Fig’Magazine n’est pas loin non plus. Parisiens illustres, Parisiens branchés, vêtez-vous cher, vêtez-vous riche.

Poudrage de cacao sur le Tiramisu : une pub pleine page pour le « Musée du Monde », des cahiers à se procurer semaine après semaine, sur des thèmes de beaux tableaux de grands peintres. Le prix du cahier : 5,99 euros. Là, sur ce sournois centime manquant de prix vicieux qui ne veut pas avouer ses 6 euros, on rejoint, naturellement, la grande famille des vendeurs de chaussettes sur les tréteaux des marchés.

Tibert

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