Keskej'peufair', chaipaquoifair'

Un fort beau billet sort ce jour sous la plume – quel anachronisme ! comme si le rutilant clavier d’un portable avait à voir avec la plume d’oie qu’on taillait autrefois avant de la tremper dans un flacon de cristal taillé – sous le clavier-plume, donc, de monsieur Tahar Ben Jelloun : « La banlieue s’ennuie« .

Ce constat n’est pas discutable : oui les banlieues s’ennuient, et l’article de monsieur Ben Jelloun souligne le fait non moins discutable, que ceux qui s’y ennuient sont français, sans l’ombre d’un doute, au plan légal s’entend. Dès lors, parler de problèmes d’intégration est impropre stricto sensu : il n’y a pas matière à intégrer ce qui est intégré (savoir si ceux qui s’ennuient dans leurs banlieues se vivent comme Français, c’est une autre question, mais passons).

Je ne fus pas banlieusard au temps où les jeunes ont tout loisir de s’ennuyer, en banlieue ou pas, et si Grigny (91) suscite une image chez moi, c’est celle d’un village paisible – pavillons de meulière et Passe-Crassanes en espaliers dans les jardins, cimetière endormi au flanc de l’église dans la rue grimpant vers le plateau – qu’il n’est plus depuis jolie lurette, depuis précisément que les urbanistes se sont occupés d’en faire une « banlieue » invivable. Mais moi aussi je me souviens m’être terriblement ennuyé, muni de mon vélo rouge, de ma carcasse pleine de pulsions mal contrôlables et de mes rêves.

Et, c’est là mon propos : l’ennui n’est pas réservé aux banlieues, et qui plus est, l’ennui n’est pas nécessairement l’horreur, n’est pas en soi catastrophique, ni même négatif. Je vais vous révéler ceci : les campagnes s’ennuient aussi, oh combien !  et les sous-préfectures, et même Guéret, et l’avenue Foch ou la rue Bobillot à Paris. Le dimanche en particulier c’est terrible, Jacques Brel l’a chanté : même les taureaux s’ennuient le dimanche.

Mais si l’ennui des banlieues produit entre autres (heureusement ce n’est pas la règle générale) de la drogue et son trafic, des bus brûlés, de la délinquance, de l’échec scolaire, des rodéos, des pompiers caillassés, des conflits de bandes, ce n’est pas la faute de l’ennui : l’ennui peut aussi produire de la lecture, de la créativité, du sport, du jeu, de la culture, du savoir. C’est ailleurs qu’il faut chercher, et l’on ne pourra pas incriminer non plus l’absence cruelle de terrains de foot, bibliothèques, MJC ou similaires, associations diverses et variées, et les devoirs à faire, les leçons à apprendre : tout ça existe, et ça fonctionne, ou ça essaye, ou ça devrait.

Les longs billets lassent, hélas, et je m’arrêterai là. Si donc les banlieues s’ennuient, qu’elles se rassurent, elles ne sont pas seules. D’autres s’ennuient, sans pour autant revendiquer les feux de la rampe et la délicate discrétion des forces de l’ordre,  de la sollicitude, des soins attentifs, et des efforts budgétaires.

Tibert

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