Quand on vote à Sion

Ajourd’hui on a voté en Suisse, on a encore consulté le peuple sur des sujets de peuple suisse. Des sujets comme le durcissement des lois sur le droit d’asile (on a dit « oui »), sur l’élection du Conseil Fédéral directement par les citoyens (c’est « non« , c’est le parlement qui continuera de s’y coller). On a aussi voté à Carouge, banlieue gènevoise, pour savoir si le budget serait laxiste ou si on se serrerait la ceinture – la question était, sans rire, « Voulez-vous payer plus d’impôts ?« , et, le croirez-vous, on a répondu « non ». La Gauche municipale a pourtant ramé, à Carouge, pour vanter un budget plus ambitieux, plus copieux, et donc, évidemment, plus coûteux… mais non, à Carouge on en a marre de payer toujours plus.

Bon mais vous vous en foutez, de la Suisse et des Carougiens, qu’est-ce qu’il vient nous importuner ce Tibert suissophile, avec ses votations à Sion ? chez nous en France on ne nous demande JAMAIS notre avis, c’est le parlement, le cénacle des godillots, une fois élu pour 5 années peinardes sans opposition possible, qui fait le boulot. Et si par extraordinaire le parlement renâcle, et bien on gouverne par ordonnances : c’est la démocratie française, tous les 5 ans – l’avenir est radieux, demain on rase gratis, si si, votez pour moi, etc.

Reste au peuple, privé de consultations directes, à se faire consulter dans la rue, façon « manif’ pour tous » ou défense de l’école privée ; le problème c’est qu’au dessous de 2 millions de manifestants – selon la police, et donc 5 à 6 millions selon les organisateurs – ça vaut pas, c’est pas assez puissant. Et, de toutes façons, ça ne serait pas possible, nous disent, doctes, les savants constitutionnalistes.

Il se trouve en effet que les députés ont voté, en avril dernier, – ce n’est pas vieux – une disposition instituant le « référendum d’initiative populaire » (ou « initiative partagée », si vous y tenez (*)). Evidemment, le temps que le Sénat y mette son grain de sel, vous pensez, on verra ça à l’automne, au mieux. Mais que dit cette disposition ? il faut, pour déclencher ce truc, « un cinquième des membres du Parlement soutenus par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales – soit actuellement 4,5 millions de personnes« . Autant dire que la « Manif’ pour tous » peut se brosser, avec ses 300.000 manifestants – selon la police, ça va de soi. Bref, référendum, pas question, car…

– premio ils sont pas assez nombreux, comme on a vu, et puis c’est aux parlementaires d’actionner le dispositif,

– deuxio la loi promulguant le référendum gnagnagna… n’est pas encore publiée au Canard Officiel, et toc !

– troisio le « mariage pour tous » n’est pas un sujet valable pour un référendum : voyez ce lien passionnant, il vous explique tout, assez clairement. On peut ratifier un traité, revoir l’organisation des pouvoirs publics, ça oui, mais bref non là ce n’est pas possible, pas la peine d’insister.

Et le « Petit juriste » – que je vous ai indiqué son site web, là, juste au dessus ! – conclut son article par ce commentaire désabusé : « D’initiative populaire, le référendum n’a plus donc que le nom… » : on ne saurait mieux dire. Reste à jalouser les Suisses, ces veinards, qui non seulement ont du blé, du Fendant bien frais en pichets de 2 décis, mais aussi les votations, et que l’on consulte, et souvent.

Détail juteux : le Parti de Gauche a voté contre cette nouvelle disposition référendaire, dénonçant un « simulacre de référendum ». Monsieur Mélenchon et ses potes, le Petit Juriste et moi, on est bien d’accord.

Tibert

(*) partagée, mon cul ! comme dirait Zazie. C’est le législateur qui prend l’initiative, pas les électeurs.