Surprenant, cet “aucuns”, dérangeant, incongru. Car “aucun” c’est rien, pas du tout, nada, en maths : zéro ! Et comment mettre le rien au pluriel ? Bien entendu, on m’objectera, je l’entends d’ici, le sketch du regretté Raymond Devos “trois fois rien, c’est déjà quelque chose“, on me jettera dans les pattes des “petits riens“, bien pluriels quoique riens, quoique petits.
On en viendrait presque à supposer qu’un rien, singulier – certes ! nommer l’absence, la vacance, le manque, le “rien” c’est tout à fait singulier – à supposer qu’on en aligne un certain nombre, ça va finir par donner une masse non négligeable, voire significative. Disons-le tout cru, c’est une horreur mathématique et un cauchemar ! mais trêve de fadaises dominicales – c’est dimanche, il pleut, parfait pour un dimanche – nous sommes ici pour débusquer un “aucuns”, braquer les projecteurs de l’actualité et du buzzz médiatique sur cet animal à 6 pattes, l’Aucuns.
Je puis en témoigner, j’ai fréquemment rencontré Aucuns. Vous aussi ? c’est peut-être un quiproquo : écartons de notre champ d’études l’usurpateur, ce lointain cousin nommé D’Aucuns ; rien à voir ! D’Aucuns est partie prenante de ces formules vaguement Vieille-France qui jabotent, “…d’aucuns s’autorisent à penser que …”, eh va donc, D’Aucuns, c’est pas de toi que je cause, dégage ! Non, “Aucuns” est un animal qui a ses tanières, ses repaires , qu’on peut donc repérer fort commodément dans son habitat favori – le mot est bien trouvé, habitat ! – car “Aucuns” est quasiment toujours fourré dans l’immobilier, par exemple dans les pages du Figues-à-rôts où l’on tente de nous vendre à des tarifs parfaitement déraisonnables des biens pas si bien que ça avec, tenez, des accroches du style “aucuns travaux“.
Aucuns travaux ! d’abord c’est évidemment faux, il y en a toujours, des travaux ! mais passons, ce n’est pas le propos. Essayez donc de me trouver un autre “aucuns” que … travaux : il n’y en a pas ! aucune idée, aucun individu, aucune bête au monde, aucun… ne cherchez pas, c’est peine perdue. “Aucuns” ne navigue de conserve qu’avec “travaux”. “Aucuns travaux”, c’est Philémon-Baucis, Roux-Combaluzier, Alfa-Giulietta, Popaul et Virginie.
Disons-le crûment, c’est l’immobilier qui a engendré ce monstre. Il y en aurait bien un pire, “aucuns travails” mais ce serait carrément insoutenable ; ce l’est largement assez comme ça. Reste à se poser la question du pourquoi ? pourquoi “aucun” est-il toujours immuablement singulier (j’exclus “d’Aucuns”, c’est un intrus, vu ? ) sauf dans “aucuns travaux” ?
… parce que 1) premio : “aucun travail” ça fait flemmard, cossard,et pour tout dire cancre, ça évoque carrément les bulletins de notes catastrophiques. 2) deuxièmo : dans le bâtiment c’est toujours au pluriel, parce que lorsqu’il faut changer un joint ça entraîne immanquablement :
– le démontage du chauffe-eau, qui de toutes façons est foutu, on fait plus ce modèle-là, allez hop poubelle,
– d’importants travaux de soudure, avec carbonisation du papier à fleurs qui était là par inadvertance,
– l’installation d’un nouveau chauffe-eau avec gravats, cochonneries, fuites et retouches diverses aux différentes malfaçons constatées,
– la réfection du papier peint, peinture, plâtrerie, menuiserie, plus dégâts des eaux chez le voisin du dessous,
– enfin, et surtout, d’importants travaux de facturation.
D’où la formule “aucuns travaux”.
Tibert