Faisons court

– « Elle le regardait très droit dans les yeux, sans ciller, une fine rosée scintillant sur sa lèvre supérieure, du même air à la fois narquois et interrogatif qu’elle présentait ce soir de mi-septembre où, les jeux de croquet et les parasols, les ballons et les seaux à sable une fois remisés dans l’obscurité poussiéreuse de l’appentis au fond du jardin, dans la douceur lasse et apaisée de cette fin d’été sereine et tiède, ils s’étaient laissés aller à des considérations innocemment oiseuses mais non dénuées de sous-entendus pleins d’espoir, sans doute aussi – il ne parvenait pas à s’en souvenir avec assez de précision, mais il eût juré qu’une mélodie de Gabriel Fauré, ourlée du contrechant sourd d ‘un piano feutré s’y surimprimait  délicatement, comme consubstantielle à la senteur lourde des rhododendrons qui tapissaient l’arrière-plan de la pièce d’eau, déjà visuellement fondue dans la lente tombée du soir – sous l’emprise d’une légère ébriété bienfaisante et euphorique, due à l’application avec laquelle il s’était adroitement mis en devoir de la faire boire plus que d’accoutumée, passant et repassant, le pichet d’orangeade chargée de glaçons et sournoisement alcoolisée à la main, lui proposant d’un ton tantôt badin, tantôt désinvolte, de lui remplir sa coupe, qu’elle tournait ensuite pensivement entre ses doigts fins et nerveux avant de la porter mécaniquement à ses lèvres peintes, imprimant d’un rouge carmin les bords du verre taillé, songeant secrètement qu’elle eût volontiers donné  libre cours aux tumultes de son émoi, à cette lourde et profonde houle qui lui enserrait le coeur et gonflait les paupières, comme la pluie enfle les nuages avant le bienfaisant déchirement de la première ondée, mais prête à feindre la surprise outrée – surprise qu’elle savait si bien jouer, l’ayant apprise de l’observation muette mais admirative de sa mère, toujours prompte à feindre l’indignation quand quelque compliment adroitement tourné aurait dû lui arracher un sourire bienveillant et complice – si, comme elle l’espérait avec force, Antoine, lui présentant son bras, la sollicitait pour prolonger cette fin d’après-midi quiète par quelque promenade vespérale dans le bosquet qui jouxtait la pièce d’eau ».

– Bon, alors, y baisent, ou quoi  ?

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