Boutiques obscures des rues (*)

( Je viens de consulter un document DPE relatif à une maison de ville : vous savez, les diagnostics immobiliers ? les termites, le plomb, l’amiante, l’électricité, l’isolation, le… enfin, tout, mais attendez, il va y en avoir encore d’autres, ils ont oublié les acariens, les punaises de lit, le salpêtre, le… bref, de plus en plus cher, c’est le but de la manoeuvre. Eh bien, on est culpabilisés à mort ! « insuffisant » ! c’est le mot qui revient à toutes les pages. Votre chaudière à ventouse de huit ans d’âge, dûment entretenue tous les ans ? à la benne ! « insuffisant » ! Qu’est-ce que vous attendez pour installer une pompe à chaleur sur votre balcon ? mauvais Français… Vos doubles vitrages, châssis alu, de 1985 ? « insuffisant » ! Optez pour des doubles vitrages à rupture de pont thermique. Le reste à l’avenant… Donc : soyez riche, ayez de l’argent, sinon empruntez. Et puis investissez massivement dans l’économie d’énergie : ce sera rentabilisé en trente ans environ, trente ans c’est peu, et vous contribuerez à sauver la Planète. Accessoirement, ça va vous plomber votre train de vie, mais quel bonheur de gratter des dizaines, voire des centaines de grammes de CO2 ! )

Et puis je vous causerai des dark stores (et des dark kitchens, leurs homologues où ça produit des sushis 99,5 % de riz, des hambourgeois, des nuggets de poulet de batterie, des frites racornies en cornets, des burritos, des pizzas, des wraps, des… des trucs a priori comestibles pour s’alimenter sans se bouger le cul, sauf pour ouvrir au livreur. Le dark store – la boutique obscure, dans notre dialecte – n’avait pas de statut clair (obscur, vous dis-je !) : il ne s’en ouvre pas à la campagne, ça non, car a) les clients sont rares et trop disséminés ; b) il faut des livreurs pas chers, disponibles, en nombre, qui tournent vite. Donc la boutique obscure se colle en pleine ville, au rez-de chaussée d’un immeuble – un hangar, une remise, un appart’ en déshérence – et on y organise un entrepôt. On trouve facilement des tas de petits gars disposés à livrer sans trop de factures les commandes, à vélo, scooter, trottinette… des petits gars munis forcément d’un téléphone-GPS et d’un véhicule – tout ça c’est pour leur pomme – et sans autre statut que leur désir de gagner quelques euros à chaque livraison. Le problème, c’est que ce sont des commerces, souvent illégaux (les règlements d’urbanisme, on oublie), très bruyants et dérangeants : le ballet des camions qui déchargent leurs palettes, les livreurs qui campent devant les lieux, à guetter leur prochaine course, pétarades de scooters, sonos à donf‘, chahuts en langages souvent exotiques… tout sauf tranquille. De paisibles citadins se plaignent déjà de voir les abords de leurs immeubles occupés assidûment par des buveurs de bières « LaSuperForte » ou de rosé à 1,80 € le litre à capsule, généralement bruyants, sales et turbulents sinon agressifs : il suffit d’un renfoncement accueillant, d’un auvent, d’une marquise protégeant des intempéries, bref d’une disposition favorable des lieux. Et voilà, pour compléter ce noir tableau, les boutiques obscures ; il y en avait plus de 80 à Paris au début de cette année. Le gouvernement a enfin pris la mesure du problème, et doit sortir sous peu (quand ?) un arrêté définissant ces entreprises comme des « entrepôts » , avec les règlements qui s’y attachent. Ce ne sont donc pas des stores, des boutiques, ce qui devrait, paraît-il, en obliger la moitié à fermer. Les cuisines obscures, elles, continuent pour le moment de sortir dans leur petit coin des tacos, des nems et des wraps à la chaîne sans que ça émeuve autrement les autorités. Il est vrai que les zonards, les punks à chiens et les coursiers Déli-veu-roues ne squattent pas les abords des hôtels particuliers du Faubourg Saint-Honoré !

Tibert

(*) Vous l’avez dans le désordre. Vous voyez ?

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Recopiez ces symboles *